L’étrange zone CFA 16


Introduction

Si vous êtes un entrepreneur désirant travailler avec les pays de la zone franc, ou opérer à partir d’un pays de la zone franc, vous devez savoir que le fonctionnement des échanges entre ces pays et la France a des particularités dont vous pouvez éventuellement tirer parti ou subir en fonction de votre situation. C’est par ailleurs un fonctionnement à connaître car la plupart des pays d’Afrique subsaharienne francophone appartiennent à la zone franc.

Des particularités étranges

Naïvement, j’avais toujours pensé, que la zone du franc CFA était une zone monétaire comme celle de l’Euro par exemple, avec une banque centrale par pays et une super banque centrale qui chapeautait le tout, comme la Banque Européenne vis-à-vis de la Banque de France et des autres banques centrales des pays membres de la zone Euro.

Mais, dès qu’on zoome sur la zone CFA, on remarque plusieurs curiosités et on comprend, qu’il s’agit d’un modèle différent.

UNE zone CFA ? Non DEUX !

Déjà, en fait il n’y a pas une zone CFA mais deux :

Carte Zones CFA

1- L’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) avec :  Sénégal, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Cote d’Ivoire, Burkina Faso, Togo, Bénin qui relève de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO à Dakar) et qui utilise le franc de la Communauté Financière Africaine (XOF)

2- la Communauté Economique et Monétaire d’Afrique Centrale (CEMAC) avec : Tchad, RCA, Guinée Equatoriale, Cameroun, Gabon, Congo qui relève de la Banque centrale des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC à Yaoundé) et qui utilise le franc de la Franc de la Coopération Financière en Afrique Centrale (XAF)

On note que le sigle CFA ne signifie pas la même chose partout et qu’en fait nous sommes face à des monnaies distinctes, CFA n’est pas le sigle qui désigne la monnaie de façon universel, c’est un simple surnom, une sorte d’enseigne commerciale en quelque sorte, et bien qu’elles apparaissent comme une seule monnaie vu de la France et qu’elles aient la même parité, elles ne peuvent être utilisées que dans leur zone propre.

Par exemple un tchadien qui voyage chez ses voisins au Niger devra convertir ses FCFA XOF en FCFA XAF, et paiera une commission de change (in fine à la Banque de France en fait).

Enfin, il faut noter qu’au sein des zones CFA, les différents pays posent des barrières douanières, le fait d’appartenir à une même zone monétaire n’implique pas d’appartenir à une zone de libre échange à l’image de l’Europe, ce sont 2 concepts distincts.

Récapitulatif des zones CFA

Zone

Institut
d’émission

Code
Monnaie

Parité
Pour un Euro :

UEMOA BCEAO XOF 655,957
CEMAC BEAC XAF 655,957

Architecture des zones

Schema_Changes_CFA

Les relations avec la Banque de France

La BCEAO et la BEAC ne sont pas vraiment les équivalents d’une Banque Centrale gérant un espace monétaire comme l’est la Banque Européenne vis-à-vis de l’Euro par exemple. En réalité, ces 2 banques dites “Centrales” n’ont pas toute la souveraineté habituelle d’une banque centrale. En fait, elles relèvent toutes 2 de la Banque de France, elles ont un compte à la banque de France et chaque état membre des unions a un compte ouvert par le Trésor Public français auprès de la banque de France. (On verra plus loin comment ces comptes fonctionnent)

Les principes de fonctionnement

Depuis sa création en 1945, quatre principes sont supposés régir le fonctionnement de la zone CFA :

1- Fixité des changes FCFA Euro

2- Libre convertibilité entre XOF/XAF et Euro

3- Libre transférabilité des capitaux de la zone CFA vers la France

4- Principe des comptes d’opérations (Centralisation des changes)

Les CFA arrimés à l’Euro

On note déjà que la fixité des taux avec l’Euro est inhabituelle, une monnaie d’un espace monétaire standard fluctue vis-à-vis des autres monnaies en fonction des échanges (de biens, de services, de capitaux) qui s’opèrent entre elle et des pays d’autres zones monétaires. Ici ce n’est pas le cas, le CFA est arrimé à l’Euro et il suit donc les fluctuations de l’Euro vis-à-vis des autres monnaies, si l’Euro s’apprécie par rapport au Dollar, le CFA s’apprécie de même et les produits exportés par les pays des zones CFA vers les USA deviennent plus coûteux pour les américains etc.

On déduit donc que ces pays sont par ricochet accrochés à la zone Euro en terme de la valeur relative de leur monnaie, ce qui est peu réaliste compte tenu de la différence de niveau de développement. En effet une communauté monétaire se fonde sur une relative homogénéité, ou au moins complémentarité des économies de cette communauté.

Les principes 2 & 3 signifient qu’en termes d’échange monétaire, il n’y a pas de contrôle de change entre un pays d’une quelconque zone CFA et la France ni entre les pays d’une même zone CFA.

Il faut toutefois noter que la convertibilité est limitée aux transferts bancaires entre la France et l’un quelconque des pays d’une des zones CFA. Par contre, les billets ne sont pas convertibles et il n’y a pas de convertibilité entre les zones UMEOA et CEMAC.

Ainsi, une entreprise française aura beaucoup de facilités pour travailler avec des pays de la zone franc : pas besoin de devises, transfert de capitaux sans entrave entre le pays d’une zone CFA et la France (notamment rapatriement aisé des bénéfices). Les mêmes règles s’appliquent pour les échanges entre les pays de l’UEMOA d’une part et pour les échanges entre les pays de la CEMAC d’autre part, mais encore une fois, pas entre un pays de l’UEMOA et un pays de la CEMAC.

Donnez moi votre montre, je vous dirai l’heure

Le principe 4 est le plus technique. D’abord, il faut préciser que la banque de France ouvre d’une part un compte pour chaque banque centrale (Un pour la BCEAO et un pour la BEAC), d’autre part un compte pour chacun des états membres des zones.

Voila comment cela fonctionne :

Exportation d’un pays du CFA vers la France

Imaginons une exportation de 5 M d’Euros de la Cote d’Ivoire vers la France, c’est simple, le Gouverneur de la banque de France prend son crayon et ajoute + 5 M dans le compte d’opérations associé à la Côte d’Ivoire et le tour est joué !

Exportation d’un pays du CFA vers un autre pays que la France

lorsqu’un pays de la zone CFA exporte vers un autre pays que la France, il récolte des devises qui alimentent la Banque Centrale considérée. Et cette banque Centrale a alors obligation de transférer sur son compte d’opération ouvert à la Banque de France au moins 50 % de ses rentrées de devises. (A la création des zones CFA, la règle était 100 %, puis une première réforme en 1973 a ramené l’obligation à 65 %, puis 50 % depuis 2005).

A ce jour donc, c’est la Banque de France qui gère 50 % des devises des pays des zones franc. Si par exemple, vous exportez des vêtements vers les USA à partir du Cameroun, pour un montant de 50000 USD, 25000 USD devront être transférés par la BEAC à la Banque de France.

Pourquoi cela me demandez-vous ?  Et bien officiellement, en échange d’une garantie par la France, de convertibilité du CFA en Euro !

En pratique, la Banque de France place les devises présentent sur les comptes principalement en obligations d’état émises par la France et d’autre part ces devises sont utilisées pour racheter du CFA qui en vertu du principe de libre transférabilité vu plus haut a tendance à revenir vers la France … On voit alors les banques centrales africaines, racheter leur propre monnaie avec leurs propres devises afin de maintenir le taux de parité vis-à-vis de l’Euro …

Enfin, il faut préciser que les instances de gouvernance et d’exécution de tout ce système (Conseil d’Administration, de surveillance, …) incluent des représentants de l’état français qui possèdent un droit de veto et qui sont payés pour préserver les intérêts de leur pays (Ce qu’on ne saurait leur reprocher par ailleurs).

Conclusion & conséquences

L’observation du fonctionnement des zones francs montre que les pays qui y participent auront tendance à avoir moins de capitaux disponibles sur le marché financier local, en clair, qu’il sera plus difficile à l’entrepreneur local de trouver des crédits sur le marché bancaire de son pays. Ensuite l’exportation des produits locaux sera handicapée à cause de l’arrimage de la monnaie à l’Euro.

Donc si votre business demande des capitaux et ou si vous envisagez d’exporter, vous devrez prendre soin d’anticiper les difficultés très soigneusement. Éventuellement, tournez-vous vers le financement participatif (ou crowdfunding).

Par contre si vous avez développé un business local rentable, et que vous voulez jouir de votre argent en Europe, pas de problème, vous aurez toute facilité pour y rapatrier votre argent ! Mais ce sera au détriment de votre pays …

Merci de votre attention. N’hésitez pas à réagir et à poser vos questions, et pour allez plus loin sur le sujet, référez-vous à la bibliographie et à la vidéo ci-dessous.

Vous avez aimé cet article ? Alors cliquez sur « j’aime » ci-contre et partagez le sur vos réseaux sociaux !

Bibliographie

Le franc CFA : D’ou vient-il ? Ou va-t’-il? – Serges Ikiemi – L’Harmattan, 2010

Le franc CFA: Pourquoi la dévaluation de 1994 a tout changé – Rémi Godeau – Sepia, 1995

Le Franc CFA et l’Euro contre Afrique – Nicolas AGBOHOU – Edition Solidarité Mondiale, 2008, 2010

Franc Cfa Instrument de Sous Developpement – Séraphin Prao Yao – L’Harmattan, 2012


L'euro et le CFA contre l'Afrique - Nicolas... par legrigriinternational

Répondre à ndedi Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

16 commentaires sur “L’étrange zone CFA

  • ROS

    Bonjour
    Merci pour cet article. Dommage, je n’ai pas pu accéder à la vidéo pour répondre aux questions suivantes que je me permets de vous poser.
    En lisant votre article, je comprends que le taux de change EUR/XAF ou EUR/XOF est fixe dans le temps. Peut-on en conclure qu’il n’ y a donc aucun risque de change pour un entrepreneur qui s’apprête à convertir des XAF ou XOF en EUR ou vice versa? La parité EUR/XAF ou EUR:XOF est la même aujourd’hui qu’il y a 6 ou 9 mois et sera la même dans 3 mois ou même dans 3 ou 4 ans..?
    Pourriez-vous m’expliquer un peu plus comment cette parité est maintenue ?
    Une dernière question: Y’a-t-il un traitement à part pour un entrepreneur Européen mais non Français ( Allemand, Luxembourgeois, Belge, Italien…) pour opérer dans les deux zones CFA? ( investir ou rapatrier son argent en Europe)?

  • Stéphane Alexandre

    Il faut rappeler également que l’adhésion à ces zones monétaires est un choix librement consenti et révocable à tout moment. Rien n’empêche ces Etats de sortir de ce système et battre leur propre monnaie.
    Les dépôts effectués par les banques centrales auprès du Trésor Public français pour garantir la fixité et la libre convertibilité de cette monnaie sont rémunérés à un taux plancher de 0.75% alors que le taux du marché est de 0.25%, voire moins. Ce système coûte donc de l’argent aux contribuables français.

  • ndedi

    Très instructif. Maintenant comment sortir de ce système misérable imposé par les colons ? ( de manière pratique s’il vous plaît) merci.

    • Pascal Rodmacq Auteur de l’article

      La seule façon de sortir de ça, c’est par une action des états, chaque état doit recouvrer sa souveraineté monétaire, celà nécessitera un planning précis et de savoir resister à la pression de la France, mais c’est à la portée de chaque état.

  • Sebastien

    Bonjour,
    Merci pour cet article très intéressant. Je trouve cependant que vous omettez de mentionner les avantages que procure l’appartenance à la zone CFA pour les pays qui en font partie.
    On parle en effet, pour beaucoup, de pays à économie fragile et/ou à situation politique périodiquement instable. Ainsi, le départ du Mali de la zone CFA en 1962 a été un échec. Que dire du Franc Guinéen? Que serait-il advenu de la monnaie de la Côte d’Ivoire, du Tchad ou du Congo au cours de leur guerre civile respective, s’ils n’avaient pas eu le luxe de « l’arrimage » » au cours de l’Euro? Cette pratique est d’ailleurs couramment utilisée, et pas seulement dans les anciennes colonies: les monnaies qataries et saoudiennes ont un cours fixé sur celui du dollar américain.
    Ne voyons donc pas tout sous la lorgnette tiers-mondiste qui vise à diaboliser le méchant colonisateur…
    Bonne journée!

    • Pascal Rodmacq Auteur de l’article

      Bonjour Sebastien,
      déjà, je ne partage certainement pas la pleurnicherie tiers-mondiste ! Et je ne vois pas ce qui dans l’article pourrait le laisser croire et ce n’est pas du tout le ton de ce blog d’une manière générale. Cette remarque me parait rhétorique et gratuite.
      Maintenant, franchement, l’arrimage du CFA à l’Euro ne peut en aucun cas être considéré comme un avantage, en effet, à la base une monnaie doit correspondre à une zone d’une certaine homogénéité économique or il n’y a rien de commun entre l’économie Européenne et celle des pays Africains des zones CFA. La disparité économique au sein des pays européen est déjà un problème, alors que dire de la disparité Afrique / Europe ? C’est grotesque.

    • Jean Jacques

      Bonjour Sebastien,
      Sans vouloir être un peut dur, je dirai que votre position sur la question est tout simplement hasardeuse. Je m’explique.
      – <>
      Bahhh qu’est devenu la monnaie nigériane après la guerre du biafrai?
      Qu’est devenu la monnaie algérienne après la guerre des pieds noirs ( libération de l’impérialisme français)
      Bref, sans vouloir verser dans le répétitif ( c’est l’Europe qui est la cause des guerre en Afrique francophone), je voudrais que vous sachiez cela, les intérêts français en Afrique sont à la base De nombreux malheurs africains.
      Dire que le CFA a un avantage, c’est dire que l’esclavage en a un également. Les occidentaux ont toujours faire croire aux africains que la liberté c’est risqué. Sachez-le dorénavant, l’Afrique a des intellectuels de haut niveau, capable de faire ce que les européens font et même mieux.
      Continuer avec cette monnaie, c’est comme voir les juifs adopter la monnaie NAZI.
      Il est temps que vous comprenez que chacun sa merde et que l’Europe n’a pas fini de régler ses propres problèmes.

  • KOFFI Jean Jacques

    Je suis Jean Jacques de la Côte d’ivoire, tout d’abord je voudrais vous dire merci pour votre article, et ensuite demander à être éclairé sur un point.
    Je voudrais savoir les conséquences du rapatriement vers le trésor français des 50% de devises perçu de l’exportation pour un entrepreneur privé comme moi. Est-ce à dire que je perds d’office 50% de mes exportations en devises autres qu’en euro ou c’est juste les exportations des entreprises publiques qui subissent cet horrible sort?
    Bien à vous!

    • Pascal Rodmacq Auteur de l’article

      Hello Jean-Jacques,
      Les flux dont je parle se situent au niveau des banques centrales.
      Lorsque vous vendez à l’étranger, c’est bien votre banque qui encaisse les devises n’est-ce pas, et il y a une écriture au crédit de votre compte en FCFA (en XOF pour être précis).
      Ces flux n’affectent pas directement les transactions que vous ou n’importe quelle autre entreprise (publique ou privée) passent avec leurs clients à l’export hors zone Euro.
      Par contre il y a une conséquence indirecte globale sur l’ensemble de l’économie des pays des CFA par la raréfaction de la monnaie car cette masse est bloquée dans le circuit français au lieu de pouvoir circuler pour alimenter l’économie africaine.
      C’est une des raisons qui contribuent au bout du compte qu’il soit par exemple si difficile pour un petit entrepreneur d’obtenir un prêt bancaire par exemple.
      Mais personne ou presque n’est capable de remonter à la cause ce ça …