OHADA : SARL Disparate ? 10


Introduction

L’OHADA, en matière des sociétés, a procédé à la réforme de l’acte uniforme y relatif [1]. Il en résulte des innovations majeures sur la SARL (Société à Responsabilité Limitée). Ces innovations ayant des incidences diverses variant d’un pays à un autre, concernent notamment le capital social de ladite société, mais aussi l’intervention du Notaire pendant la constitution de la société.

1- Existence des « brèches »

Cet acte uniforme énonce quant au formalisme des statuts que : « sauf dispositions nationales contraires, les statuts sont établis par acte notarié ou par tout acte offrant des garanties d’authenticité dans l’Etat du siège de la société déposé avec reconnaissance d’écritures et de signatures par toutes les parties au rang des minutes d’un notaire. Ils ne peuvent être modifiés qu’en la même forme » [2].

Quant au capital social de la SARL, l’article 311 dudit acte uniforme stipule « sauf dispositions nationales contraires, le capital social doit être d’un million (1.000.000) de francs CFA au moins. Il est divisé en parts sociales égales dont la valeur nominale ne peut être inférieure à cinq mille (5.000) francs CFA » [3].

De la combinaison de ces deux (2) articles, il découle que les Etats parties au Traité OHADA peuvent déroger à ces dispositions, et en prévoir d’autres, en fonction de leur environnement juridique, économique et social ; d’où les conséquences suivantes.

 

2- Conséquences

Cette flexibilité introduite par l’OHADA, relative au capital social de la SARL et à l’intervention du Notaire, induit une « multiplicité » de SARL, mais aussi parfois la levée de la suprématie notariale en matière de constitution de ladite société.

Multiplicités des SARL

Selon un communique du Secrétariat Permanent de l’OHADA [4], les modalités de constitution de la SARL, en vertu des textes complémentaires, dans certains pays sont : Sarl-disparate-2

  • Bénin (Décret N° 2014-220 du 26 mars 2014 portant modalités de création des SARL) : le législateur béninois prévoit que les statuts de la SARL unipersonnelle ou pluripersonnelle sont établis par acte sous seing privé (article 2) et que les associés fixent librement le montant du capital social (article 6) [5].
  • Sénégal (Loi N° 17/2014 du 15 avril 2014 portant fixation du capital social minimum de la société à responsabilité limitée) : la loi sénégalaise déroge à l’Acte uniforme sur le capital social minimal de la SARL, qu’elle fixe à cent mille (100 000) F.CFA (article 1er).
  • Côte d’Ivoire (Ordonnance N° 2014-161 du 02 avril 2014 relative à la forme des statuts et au capital social de la société à responsabilité limitée) : le législateur ivoirien indique que les statuts de la SARL « sont établis par acte notarié, par tout acte offrant des garanties d’authenticité ou par acte sous seing privé », et laisse aux associés la liberté de fixer le montant du capital social (article 5). Il rend ainsi facultatif l’intervention du notaire pour l’établissement de la déclaration de souscription et de versement.
  • Togo (Décret N° 2014-119/PR du 19 mai 2014 déterminant la forme des statuts et le capital social pour les sociétés à responsabilité limitée) : le législateur togolais, offre aux opérateurs économiques le choix entre l’acte notarié et l’acte sous seing privé pour la constitution des SARL (article 2), et rend également optionnelle l’intervention du notaire pour la déclaration notariée de souscription et de versement (article 6). Le capital social minimum est fixé à cent mille (100 000) F.CFA (article 3).
  • Burkina Faso (Décret N° 2014-462/PRES/PM/MJ/MEF/MICA du 26 mai 2014 portant fixation des dispositions nationales applicables à la forme des statuts et au capital social pour les sociétés à responsabilité limitée) : le législateur burkinabè offre le choix entre l’acte notarié et l’acte sous seing privé pour l’établissement ou la modification des statuts des SARL (article 2), fixe à cent mille (100.000) F.CFA le capital social minimum pour cette forme de société (article 3). Il rend facultatif l’intervention du notaire d’établir la déclaration de souscription et de versement (articles 5 et 6).
  • Guinée (Décret D/2014/124/PRG/SGG du 30 Mai 2014 portant dispositions applicables à la forme et à l’établissement des statuts et la fixation du capital social d’une société à responsabilité limitée) : le législateur guinéen pour l’établissement des statuts, offre le choix entre l’acte notarié et l’acte sous seing privé établi par un avocat ou un conseil juridique agréé, et rend non obligatoire le dépôt au rang des minutes du Notaire (article 2). Le montant du capital social est librement déterminé par les associés (article 3), et la valeur nominale minimale des parts sociales est de cent mille (100.000) GNF (article 4).

 

Levée de la suprématie notariale

Les dérogations introduites par certains pays membres de l’OHADA dans le processus de création de la SARL, entraînent la levée du quasi-monopole du Notaire, en matière de constitution de la SARL.

3- contraintes

Sarl-disparateDisparité de SARL

De nos jours, six (6) des dix sept (17) pays membres de l’OHADA, ont procédé à des dérogations possibles, prévues par cet acte uniforme. Cette initiative certes louable, entraîne néanmoins une disparité de la SARL. En effet, il en résulte une « balkanisation » juridique soit comme l’écrivit Blaise Pascal « Vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà« .

Atténuation d’un objectif principal de l’OHADA : unification

L’un des objectifs majeurs de l’OHADA est l’unification des textes juridiques et judiciaires dans les différents pays membres. La disparité de la SARL induit une diminution de l’unification des textes OHADA.

 

Conclusion

La réforme de cet acte uniforme, en matière de constitution de la SARL a sans doute voulu faciliter la liberté entrepreneuriale, permettant d’avoir rapidement une entreprise plus « crédible » !

Toutefois, compte tenu des disparités qui en résultent, il y a un risque d’amateurisme dans la rédaction des actes juridiques (statuts, procès-verbaux). Ce faisant, la constitution de la SARL implique la tenue obligatoire des Assemblées Générales dont sont dispensées les entreprises individuelles ; je doute fort que toutes ces nombreuses SARL accompliront cette formalité.

Je ne suis point pessimiste mais réaliste d’où une insécurité juridique renforcée. Ceci est simplement mon opinion, ma liberté de pensée !

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Bibliographie


[1] Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique, adopté le 30 Janvier 2014.

[2] Selon l’article 10 dudit acte uniforme.

[3] Il en est de même de l’article 314 alinéa 1er AUSCGIE qui prévoit que « sauf dispositions nationales contraires, la libération et le dépôt des fonds sont constatés par un notaire du ressort du siège social, au moyen d’une déclaration notariée de souscription et de versement qui indique la liste des souscripteurs avec les noms, prénoms, domicile pour les personnes physiques, dénomination sociale, forme juridique et siège social pour les personnes morales, ainsi que la domiciliation bancaire des intéressés, s’il y a lieu, et le montant des sommes versées par chacun ».

[4] www.ohada.com

[5] Il est également prévu que les fonds provenant de la libération des parts sociales sont déposés en banque ou dans tout autre établissement de crédit ou de micro-finance dument agréé, le récépissé de versement suffisant à constater la libération et le dépôt des fonds (articles 7 et 8). Ce décret est entré en vigueur le 05 mai 2014.



A propos de Thérèse Beticka

Co-créatrice du blog Business-en-Afrique.net, Fondatrice Gérante du Cabinet Daisy Conseils, Enseignante en Droit des Affaires, Consultante externe près la Commission Nationale OHADA Guinée, Arbitre CCJA (Cour Commune de Justice et d’Arbitrage à Abidjan)

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10 commentaires sur “OHADA : SARL Disparate ?

  • Thérèse BETICKA

    une variation dans la dérogation guinéenne, la valeur nominale des parts sociales est désormais librement fixée par les statuts (décret D/2017/114/PRG/SGG en date du 24 mai 2017.

  • Thérèse BETICKA

    Une autre variante au Congo à travers le décret n° 2017-41 du 28 mars 2017 portant forme des statuts et constitution du capital social de la société à responsabilité limitée en République congolaise : les statuts de la SARL sont établis et modifiés soit par acte authentique, soit par acte sous seing privé sans que l’on soit obligé, dans ce dernier cas, de procéder au dépôt au rang des minutes d’un notaire avec reconnaissance d’écritures et de signatures. Le montant du capital social est librement fixé par les parties, et la valeur nominale des parts sociales est au minimum de 5.000 F.CFA.

  • Thérèse Beticka Auteur de l’article

    Une autre dérogation, camerounaise (loi n° 2016/014 du 14 décembre 2016) comporte les spécificités suivantes: le capital social minimum de la SARL est de 100.000 F.CFA ; elle rend facultatif le recours à l’acte notarié pour la constitution de la SARL lorsque celle-ci est unipersonnelle ou lorsque son capital social n’excède pas 1 000 000 F.CFA.

  • Thérèse BETICKA

    La dérogation gabonaise (loi nº13/2016 du 5 septembre 2016, promulguée par le décret nº 0447/PR du 5 septembre 2016) comporte les spécificités suivantes :le montant minimum du capital social est désormais fixé à 100.000 Francs CFA, au lieu de 1.000.000 Francs CFA. Les statuts des SARL pourront être établis sous forme d’un acte notarié ou un acte sous seing privé.

  • NOAH GUILLAUME

    Ces « brèches » reconnaissent de fait l’existences de disparités économiques au sein des membres de l’OHADA et ont donc pour objectif de coller au mieux à la situation locale.
    Pour un étranger à un pays, il vaut mieux toujours opter pour la forme la plus contraignante de déclaration qui garantie aussi la sécurité maximale le cas échéant…

    • de SOUZA Lucien

      On ne peut que déplorer le millefeuille en cours dans les 6 pays ou la législation nationale prendra le pas sur le credo même de l’OHADA. Faciliter le passage du secteur informel au formel en permettant aux personnes de constituer une SARL avec le capital de leur choix, ne garantit pas pour autant la viabilité à court ou moyen terme de ces petites sociétés. En cela je rejoins le billet de Mme Beticka qui parle « d’insécurité juridique renforcée ». Alors que l’image globale des entreprises en Afrique est teintée de méfiance voilà que nous ajoutons de l’eau au moulin des détracteurs éventuels. Car la gestion d’une entreprise requiert un minimum de formation comptable, juridique, commerciale, une vision entrepreneuriale sur le long terme, etc.. Il ne faut pas croire que les acteurs qui sont très actifs dans le secteur informel sauront aussi performants lorsqu’il seront « versés » dans un cadre réglementaire donc contraignant. Cette brèche étant ouverte à quoi faut-il désormais s’attendre ?

      • Thérèse BETICKA

        Personnellement, je me suis demandée si on n’est pas en train d’ouvrir « la boîte de pandore » compte tenu de certaines réalités africaines. La SARL dans ces pays risque de ne plus être une entreprise fiable.

      • Thérèse BETICKA

        Une autre variante de SARL en RDC: selon l’arrêté interministériel N°002/CAB/JGS&DH/014 et N°243/CAB/MIN/FINANCES/2014 du 30 décembre 2014 déterminant la forme des statuts et le capital social de la société à responsabilité limitée dans ses articles 1 et 2, disposent que les statuts de la SARL sont établis par acte notarié ou par acte sous seing privé, et le capital social est librement fixé par les associés selon leur objet social.